TERRAINS
Le pape, l’Église et nous
Près d’une semaine après la mort du pape François, notre collaboratrice revient sur sa visite au Canada en 2022 et ses implications pour les Premières Nations.
ISABELLE PICARD
ETHNOLOGUE, COLLABORATION SPÉCIALE
Avant de commencer cette chronique, il m’apparaît important de définir qui est ce « nous » dont je parle, ce « nous » que j’hésite souvent à embrasser, ce « nous » fragilisé dans son identité, dans sa communauté, jusque dans sa moelle osseuse. Un « nous » qui nous place trop souvent dans une parenthèse, sur le bas-côté, ce « nous » qui est en fait « l’Autre ».
Ce « nous », ici, concerne un groupe, les Premiers Peuples, duquel font partie une multitude d’individus avec des identités et des croyances distinctes. Je n’ai nullement la prétention de parler pour tous.
C’est complexe, les notions d’identité.
Quoi qu’il en soit, le pape est mort. Ce pape-là. Celui qui est venu au Canada en juillet 2022, qui a passé trois jours à Québec pour rencontrer les survivants des pensionnats pour Autochtones. Celui de qui on attendait beaucoup. Celui qui ne semblait pas mesurer l’ampleur de ce qui s’est passé du milieu du XIXe siècle jusqu’à la fin du XXe siècle.
Je parle des 150 000 pensionnaires autochtones qui, dès l’âge de 5, 6 ou 7 ans, ont été arrachés à leur famille partout au Canada pour être placés dans des pensionnats financés par l’État fédéral et gérés par des institutions religieuses.
Je parle des enfants qu’on a obligés à devenir quelqu’un d’autre. Ceux dont on voulait taire la langue, qu’on ne voulait plus libres, ceux qui n’avaient pas la bonne religion, pas les bonnes manières. Ceux qu’on voulait « amener au rang de civilisés ».
« Je veux me débarrasser du problème indien… Notre objectif est de continuer jusqu’à ce qu’il n’y ait plus un seul Indien au Canada qui n’ait pas été absorbé dans la société… »
Ce ne sont évidemment pas mes paroles, mais celles de Duncan Campbell Scott, l’un des principaux architectes du système de pensionnats pour Autochtones, surintendant des Affaires indiennes.
L’objectif était clair. Une alliance avec l’Église (60 % des pensionnats pour Autochtones étaient gérés par l’Église catholique) était avantageuse pour le gouvernement fédéral. Les religieuses et les frères ne coûtaient pas cher à l’État. Une solution au rabais. En plus, il est plus moralement acceptable d’arracher des enfants à leur famille quand c’est fait par des religieux, non ?
Après tout, « toutes les véritables civilisations doivent être fondées sur le droit moral que seule la religion chrétienne peut offrir ». Cette prétention-là provient d’un mémoire de la Convention des directeurs catholiques de 1924. Le droit moral…
On connaît les conséquences des pensionnats pour Autochtones. Je n’ai plus envie de m’y attarder. Pas parce qu’elles ne sont pas importantes, au contraire. Parce qu’elles sont lourdes pour ceux qui les portent encore.
En juillet 2022, donc, j’étais analyste à RDI pour la visite tant attendue du pape François.
Une première journée… puis une deuxième. Les excuses franches ne viennent pas. À la fin de la troisième journée, au sortir des studios de Radio-Canada à Québec, je m’effondre. Je pleure. Je rage toute seule dans ma voiture. J’étais en colère.
Avait-il été mal préparé ? Pourquoi est-ce que je le voyais se contenter d’inviter les Autochtones « à emprunter le chemin de la réconciliation, à passer de l’échec à l’espérance » ? N’était-ce pas de remettre encore une fois le fardeau sur le dos des survivants ?
Le pape François a finalement reconnu les sévices sexuels et a demandé pardon. C’est déjà un pas, je l’admets. Ce n’était cependant pas des excuses officielles, claires, au nom de l’Église catholique aux survivants, ici sur notre territoire, devant eux tous.
Personnellement, c’est ce que j’attendais.
J’espérais tellement plus, en fait, de ce voyage.
Le pape s’est montré sensible, ouvert, certes. C’est assez normal comme posture venant d’un pape de l’Église catholique, non ?
J’ai en tête ma visite au Vatican lors d’un voyage à Rome dans ma jeune vingtaine. Je voulais voir la chapelle Sixtine, son plafond, l’œuvre de Michel-Ange. Pour y arriver, des centaines de mètres dans les corridors du Vatican, des présentoirs remplis d’objets précieux, de richesses. Et d’orgueil. Ce même orgueil que j’ai retrouvé au sortir de la chapelle quand un prêtre m’a assez violemment tassée du chemin pour laisser passer une Éminence qui avait, à mon humble avis, toute la place nécessaire pour se déplacer.
Cet orgueil qui retenait peut-être les mots dans la bouche du pape François, bâti depuis des siècles à coups de vérités et de visions uniques, sous le couvert de l’humilité.
Peut-être qu’à force de parcourir trop de couloirs, l’Église a perdu son chemin.